Juin

Mercredi 2 juin, 0h40
Magnifique travail de Patrick Rotman pour le film documentaire Eté 1944 diffusé avant-hier sur France 3 à l’occasion du soixantième anniversaire de l’opération Overlord. En une heure cinquante, de multiples documents filmés (souvent en couleur) agencés efficacement, ainsi qu’un commentaire sans langue de bois, le réalisateur nous offre un panorama complexe de la libération de la France. Les thèmes sensibles, comme les dissensions entre de Gaulle et les Alliers ou les atrocités commises lors de l’Epuration, ne sont pas éludés. Rotman, déjà maître d’œuvre de L’Ennemi intime, incontournable référence pour la guerre d’Algérie, récidive pour notre plus grand bien avec cette période cruciale. Chapeau bas donc…
19h15. Elections européennes pour les vingt-cinq Etats membres et peu d’échos, au plan national, au-delà du cadre officiel de la campagne. Une classe politique qui camoufle cet événement et maquille les enjeux : voilà les responsables selon le représentant de la fondation Robert Schuman. Peut-être qu’un sujet de philosophie touchant plus ou moins directement à l’Europe motiverait la cuvée du bac 2004 et donnerait l’exemple aux adultes en charge des affaires. En ce mois de commémoration de la libération d’une Europe sous le joug totalitaire, nous pourrions mettre un peu plus d’entrain à l’édification de celle fondée sur la paix depuis soixante ans.
Acadomia a fourni, après mon accord obtenu, mes coordonnées à la station de radio NRJ pour que je sois enregistré dans le cadre de l’épreuve de philosophie de la semaine prochaine. Résultats : quelques minutes d’entretien avec une animatrice de cette radio sur les conseils à suivre, le ressenti de cette épreuve et sur l’état d’esprit des postulants au bac… Le contenu de mes improvisations a semblé convenir. Encore une discrète, et quasi clandestine, intervention éclair sur un média…

Vendredi 4 juin, 0h05
Dernière petite crasse en date du collatéral Bruce : un courriel répugnant adressé à maman. Dans son délire malfaisant, il la traite de « monstre », lui affirme ne jamais l’avoir aimé, mais d’avoir fait semblant et lui reproche tout et n’importe quoi. Lorsqu’on met en perspective le dévouement, la présence au-delà du raisonnable et la générosité multiforme de celle qu’il renie aujourd’hui, cela soulève le cœur de dégoût.

Samedi 5 juin, 0h32

Demain, les festivités tant annoncées vont donner l’occasion à Bush et Chirac d’échanger quelques amabilités hypocrites pour les médias. Le ressentiment d’une bonne partie des Américains, suite à notre dérobade au nom de pseudo principes juridico-humanistes, persite. Comme le rappelait l’un des invités de Calvi à C dans l’air, la France n’arrive pas à accepter d’être si réduite par rapport aux Etats-Unis, ce qui entraîne une espèce d’obsession, pour reprendre le terme d’un des titres de Revel. Outre Atlantique, point de focalisation quotidienne sur l’hexagone ramené à la réalité modeste de son influence et de sa puissance. En outre, et selon un paradoxe à éclaircir, la France est un des pays les plus américanisés au monde (cinéma, nourriture, musique, etc.) alors que les critiques fusent vers le pays jugé surpuissant.

Dimanche 6 juin, 1h
Jour du branle-bas de combat médiatique pour le show commémoratif. Des émotions à haute densité pour les vétérans présents sur les plages de Normandie et dans les cimetières militaires auprès de leurs feux compagnons d’armes. Un hommage bien légitime rendu aux Etats-Unis qui nous ont nettoyés du nazisme et préservé du communisme, les deux pires fléaux idéologiques du XXe siècle. Que les blancs-becs, si prompts à l’anti-américanisme primaire, jugent leurs apriorismes à l’aune de cette histoire, tragique mais victorieuse, partagée.
Depuis le parc Tête d’Or : bain de soleil dans le cocon fleuri de la roseraie épargné par l’influence. Vu Le jour d’après, une des dernières superproductions américaines : la mécanique de l’histoire et l’archétype des personnages sonnent sans bouleversement pour le spectateur, mais l’efficacité des effets spéciaux et du montage maintiennent en haleine pour un message alarmiste sur le dérèglement climatique qui nous guette. Certes, on ne peut croire au cataclysme décrit, mais la survenue d’une petite partie de ce chaos, ou en densité beaucoup plus faible, suffirait à anéantir nos modes de vie. L’abus de la nature peut-il se manifester encore longtemps sans retour de bâton ?

Jeudi 10 juin
Le repas, mardi soir, avec quelques formateurs de Forpro, m’a confirmé leur penchant à multiplier les sordides attaques ad hominem envers la direction, l’encadrement ou des collègues absents. Dans le même temps, ils se sont offusqués lorsque j’ai révélé mon peu d’enclin pour l’humanité, mon anti-rousseauisme et ma perception négative d’une majorité d’individus. L’attaque mesquine fait jubiler, l’envolée misanthropique terrifie. Nos univers intellectuels ne peuvent se concilier.

Vendredi 11 juin
Soul, jazz et tous les rythmes enivrants tournent à la marche funèbre avec l’envolée outre tombe du plus multicouleur des non-voyants, dont la rocaille vocale ferait se trémousser le plus minéral des caractères : les Sting, Tracy Chapman et Keziah Jones, qui ouvrent le Cdivers XXVII mis en fond sonore, abonderaient dans mon sens.
Le mythique Ray Charles, à soixante-treize tempos, ne s’est pas éternisé sous nos cieux, mais sa joyeuse trogne a insufflé la jouvence à ses créations, ses doigts ont fait virevolter les noires et blanches pour une profusion des émotions. Que l’éternité ensoleillée l’accueille.
Avec ma BB pour une villégiature en trois temps : Saint-Crépin, Rueil Malmaison puis Paris. Dans l’entre-deux fêtes, pour les dates officielles, je gâterai mère et père, sans une pensée pour le collatéral de 73 dont c’était hier l’anniversaire… Au contraire de l’incommensurable Ray Charles, le piano ne lui a nullement permis de trouver le meilleur de lui-même. Pitoyable stagnation.
Juste à ce moment, dans les oreilles, le transcendant pianotage dans My Precious Love de l’habité Lenny Kravitz. Mon écriture aurait-elle ses inspirations clandestines ? Divin vagabondage musical, en tout cas !
Ce dimanche, un moins lyrique rendez-vous en un tour de piste électoral : le grand projet européen n’a pas les atours escomptés pour les responsables politiques et médiatiques, alors qu’espérer du citoyen ? Ainsi le Raffarin III n’a-t-il daigné se déplacer que pour le dernier des meetings. Peut-être a-t-il le sentiment d’avoir mieux servi sa chapelle en faisant acte de présence minimale... Saluons alors la lucidité de l’homme qui se veut « déterminé », à la manière d’une anaphore publicitaire. Tenir le cap de réformes essentielles l’obsède avec raison, mais sa dialectique via les ondes tourne un peu à l’antienne soporifique.

Lundi 14 juin
Big Lutèce en grand bleu, depuis les hauteurs de la rue Chaptal, chez Aline. Accueillante, ravissante, son nid, à dominante de bois, fourmille d’objets et d’intentions décoratives que sa vie professionnelle chargée ne laisse pas s’épanouir. Sa simplicité, sa modestie, la rend plus attachante encore au regard de son brillant parcours.
Promenade prévue avec ma BB au cœur de Paris et qui s’enrichira de deux haltes culturelles via les expositions choisies.
Les travaux à réaliser à Saint-Crépin s’avèrent bien plus conséquents. Maman et Jean ont une bonne décennie d’occupations pour réaliser un lieu de vie à leur goût. Les impératifs premiers concernent l’isolement des pièces sises sous le toit. Le peu de matières isolantes, dans leur chambre, explique les poussées de froid ressenties.
A Rueil, de gros changement, en forme d’agrandissement, vont bientôt débuter. La famille trouvera ainsi un confort mérité dans cette maison de poupée. L’époque est donc à l’installation constructive dans toutes les familles proches.

Jeudi 17 juin
L’esprit morose, sans raison apparent, si ce n’est un affadissement de la pensée. Jusqu’où aller pour que l’écriture serve un peu… là ce sont des merdes ces remplissages…
L’expo du World Press Center déprime : la variété des misères et des massacres laisse peu de place à la beauté du monde.
La transformation de ce Journal en récit risque de vite sombrer dans le rapiècement artificiel. Décidément, pas l’once d’une ambition réalisée.
Trop maussade, ce soir, pour que cet exercice puisse me retenir plus longtemps.

Vendredi 25 juin
Bientôt 1h : ma BB effectue sa dernière nuit de labeur alors que je ne me résous pas à m’effondrer. Pas d’écriture dans ce Manus XII depuis plus d’une semaine pour cause d’une captation de la plume par un autre barbouillage littéraire : transposer Le Gâchis journal en Gâchis récit. Donner de la cohérence, de l’unité et du sens à ces notes éparses. Voilà pour la tâche de longue haleine, ce qui ne doit pas trop réduire la tenue de cet instantané.
Mon emploi du temps s’allège bougrement pour les deux mois à venir, voire même jusqu’à la fin septembre… les économies sur les loisirs et le futile vont s’intensifier.
Pas une journée sans un attentat en Irak. La très symbolique passation de pouvoir, le 30 juin, ne va qu’enflammer un peu plus cette deuxième poudrière du Proche Orient. Si l’anti-américanisme ne peut fédérer les groupes religieux et ethniques, le signe d’un transfert des rênes ne va qu’exacerber leurs différends.
Du parc. La bourbe irakienne a tué autant d’Irakiens, depuis cette paix illusoire, que le contenu désintégré du WTC. Chacun dans ses regrets du temps sécuritaire où les rétifs étaient éliminés.
S’accrocher à quelques justifications pour ne pas trop se déconsidérer, avec évolution inexorable au gré des bouleversements plus ou moins maîtrisés : peu glorieuse trajectoire en fait. Gratter l’inconsistant remugle en prétextant l’appel littéraire, la purge vitale, la salutaire introspection, participe à l’illusoire de ses ressources créatives.
Je songeais, lors de mon amorce de refonte des pages de 1991, à toutes les années antérieures passées chez Heïm, dans cette si singulière atmosphère de vie. Quelques bribes éparses s’étirent jusqu’à la réminiscence brumeuse : inexploitables. Faute de moyens suffisants pour se payer des domestiques, la jeune troupe se chargeait de l’entretien multiforme en partage avec les cours par correspondance. Les obligations, du lustrage des planchers cirés au tour des arbres à la binette, fournissaient souvent l’occasion du ludique imaginatif entre Hermione, Karl et moi, aussi soudés et complices que le trio d’apprentis sorciers dans Harry Potter. Insouciance protégée des violences juvéniles que je retrouvais quelques années plus tard, lors de mon entrée en cinquième, au collège de Conflans-Sainte-Honorine. Pas de braillards à l’insulte facile dans cet antre où le devoir se conjuguait au plaisir constructif, dans un lien fusionnel.
Les lieux, aujourd’hui anéantis ou défigurés, qui accueillaient nos jeux. Le proche Fort Alamo et les grands bois, au fin fond de la propriété, après les quelques champs broutés par une flopée de bœufs à la belle saison : réunion d’une géographie remodelée par des trous d’obus et par des arbres porteurs de lianes. L’hommage au western avec John Wayne s’ouvrait pour toutes sortes d’aventures, et fréquemment notre lutte contre les bleus, ces salauds de Républicains : nous les pourfendions, nous les Jean de Florette (Hermione), Jean Cottereau (Karl) et Georges Cadoudal (moi-même). Au lieu et place des cow-boys et des indiens, l’occasion de défoulements influencés par l’air châtelain et les discours de Heïm.
Dans l’immense grenier du château, des niches entre les poutres et le toit avaient permis, avant mon arrivée, l’aménagement de lieux dédiés aux secrètes pérégrinations intérieures. Lorsque Hermione et Karl me les firent découvrir, dans une obscurité préservant la part de mystère, je regrettais de n’avoir pu partager les complicités dans cet antre des merveilles, instants perdus pour des souvenirs à partager.
Bien plus tard, édification du Village des quatre champignons (Hubert en plus), avec cabanes spacieuses, chemins baptisés, le tout dans une partie des sous-bois bordant la pommeraie. Sophistication du cadre de jeu, mais finalement moins de densité ludique, moins d’allant faisant fructifier le merveilleux. Sans doute lié à une moindre harmonie dans le quatuor et à un âge (vers 13 ans) où l’individualisme s’affirme. La vieille ferme, à l’arrière du château, n’avait, elle, pas eu besoin de transformation pour incarner le domaine rêvé pour d’inépuisables histoires à vivre : des pièces ouvertes, à communications multiples avec l’extérieur, pour exacerber l’intérêt des poursuites et jeux de cache-cache, un grenier (servant de pièce à sécher le linge) assez vaste pour notre imagination, une pièce à bois (prenant toute la hauteur de la bâtisse) qui, lorsqu’on ne s’y approvisionnait pas pour faire nos fagots, nous permettait des escalades sur l’enchevêtrement des branches accumulées. Plus tard, l’une des pièces nous servira de zone d’ateliers, chacun son coin, pour s’improviser bricoleur au sein du bric-à-brac respectif.
Sur la grande pelouse jouxtant cette fermette à plaisirs, parmi les innombrables jeux, l’un, baptisé d’une onomatopée aux digestives consonances (Smeurp ! Beurp ! je ne sais plus) consistait à viser l’autre, ou des adversaires désignés, à l’aide de disques volants (les frizbee) décrétés nouvelle fonction pour des couvercles en plastique souple de gros pots de peinture. Agressivité focalisée au cours de ces parties épuisantes, et de grandes bagarres festives entre tous les enfants, confrontations gargantuesques sans visée violente. Démarche pour se tester, canaliser ses bas instincts et ne pas ignorer la part en nous à défouler.
Garder en soi la complexité de cette époque sans renier ses attraits.

Mercredi 30 juin
Fin du séjour à Arles et un bref détour à Fontès pour embrasser grand-mère. De bons instants de détente et la présence de charmantes jeunes femmes, en plus de ma BB, qui ont ennobli deux soirées boustifaille, restaurant et pique-nique dans un terrain d’oliviers. Petit moral de Fanny V. quittée par le grand Kevin pour une autre perle. Six années de partage qui s’effondrent. Voilà pour le factuel.
Je supporte de moins en moins les longs trajets par route et autoroute. Ces interminables couloirs d’asphalte, bornés par de très symboliques pointillés et réglementés par d’illusoires principes, laissent défiler des congénères transmués en fauves dégénérés. Aucune question de survie ici, juste le sentiment pitoyable de gagner quelques longueurs sur l’autre, de ne surtout pas tolérer qu’on entrave le roulement mortifère de leur sacro-sainte machine. Et parmi ces tristes zouaves, dont on aurait vaguement pitié s’ils ne trônaient pas dans ces engins à tuer, on doit retrouver une foultitude de baveurs de tolérance qui s’offusquent à la moindre tonalité extrémiste dans le discours. A vomir. Que les chiottes universelles ravalent ces diarrhées inconsistantes, ces colporteurs du tout-à-chier bons tout juste pour le néant des égouts. Sur le piédestal le penseur sans pitié pour l’espèce humaine, impitoyable avec ces fourbes qui se répandent. Qu’ils s’empalent sur leur permis d’être connement criminel ces fions du volant !
19h. Ma chère grand-mère au visage si creusé, à la chevelure aux blancheurs presque irréelles, formant un halo d’une vieillesse maudite. L’entrée dans sa chambrette a laissé s’échapper une bouffée d’air caniculaire. Même pas un petit ventilo pour rendre le lieu supportable, rien pour les chenus qu’un repliement aux touffeurs à suffoquer. Heureuse qu’elle est de nous avoir pour quelques instants ; un peu de fraîcheur d’action en lui recherchant quelques photos dans sa bibliothèque, en remettant un semblant d’ordre dans les correspondances reçues ; un chouia de vie et d’enthousiasme pour compenser dans l’instant le pire à venir. Vers 18h20, nous les descendons, assise dans un fauteuil roulant, dans la salle du dîner. Attablée à la place désignée, avec une grande cuillère où l’attendent des cachets salvateurs, nous la quittons avec caresses et baisers d’affection. Triste mais nécessaire déroulement du temps.

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